Lettre au Sénat de France

The government in France was about to forward a problematic bill that was not only redundant, but causes more problems than it was to solve. The bill was aimed at reinforcing the fight against sectarian aberrations. But it uses in it the term "Sect", which is to be avoided at all cost, according to the EHCR. It also uses non-legal and scientifically undefined term "psychological subjection" to describe religions. It allows so called "anti-cult" associations, which more often than not are ideologically opposed to spiritual and religious movements they do not appreciate, to sue for damages even when they have not suffered personal injury (article 3), represents a considerable risk to the fairness of criminal proceedings. And, finally, it allows a government body such as Miviludes, which regularly stigmatizes minority spiritual and religious movements, to take part in the debates of a criminal trial involving these same movements, is also a severe infringement of the right to a fair trial as defined by article 6 of the European Convention on Human Rights.

1/17/20246 min read

A l’attention de tous les députés

Mesdames, Messieurs les députés,

La Fondation Mensenrechten Zonder Grenzen que j’ai l’honneur de présider a pris connaissance du projet de loi contre les dérives sectaires pour lequel vous avez été nommée rapporteure. Notre fondation, établie aux Pays-Bas, est un organisation non partisane, qui stimule la recherche, le débat et l'élaboration de politiques en faveur de la réalisation effective de la liberté de religion ou de conviction et des questions de liberté de conscience. Nous avons travaillé et travaillons avec de nombreux pays et gouvernements, avec les institutions européennes, avec l’OSCE et d’autres organisations internationales, afin de conseiller efficacement les acteurs politiques sur les questions liées à la liberté de religion et de conviction.

Le projet de loi « visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires » que nous avons pu examiner nous semble très problématique à plusieurs titres. Tout d’abord, la jurisprudence européenne de la CEDH en matière de liberté de religion est très claire quant à l’emploi du terme « secte » (« mouvement sectaire » ou « mouvement à dérives sectaires » sont des termes tout à fait équivalents à celui de « secte ») par les gouvernements et les instances étatiques. L’emploi de ces termes doit absolument être évité, car il mène invariablement à des discriminations fondées sur des jugements de valeur, et servent invariablement à dénigrer des groupes spirituels ou religieux qui sont en butte à l’hostilité d’un gouvernement ou d’une idéologie concurrente, que ce soit pour des raisons politiques ou idéologiques.

Aussi récemment que le 13 décembre 2022, la Cour, dans son jugement « Tonchev et autres c. Bulgarie » (Requête no 56862/15) a jugé, après qu’une lettre circulaire ait été envoyée par l’État bulgare aux écoles de la ville de Burgas stigmatisant comme « sectes » trois églises évangéliques, ajoutant que ces « sectes » exposaient leurs participants à des « troubles psychiques », que l’emploi de tels termes a « pu avoir des répercussions négatives sur l’exercice par les fidèles des Églises en cause de leur liberté de religion » et a conclu à une violation de l’article 9 de la Convention sur la liberté de religion et de conviction.

L’article premier du projet de loi précité, qui a été retiré par le Sénat mais que certains voudraient réintroduire à l’Assemblée est encore plus problématique que le titre de la loi. En effet, vouloir créer un délit de « sujétion psychologique » en matière de pratiques spirituelles ou religieuses, contrevient aussi au droit des libertés fondamentales. La Cour européenne, dans sa décision du 10 juin 2010 « Affaire des Témoins de Jéhovah de Moscou contre Russie » (Requête n° 302/02), a jugé qu’ « il n'existe pas de définition généralement acceptée et scientifique de ce qui constitue la ”manipulation mentale” ». « Manipulation mentale » étant bien entendu interchangeable avec « sujétion psychologique ».

La notion de « sujétion psychologique » n’a aucune définition juridique, et elle ne fait pas non plus l’objet d’un consensus scientifique. Au contraire, plusieurs pays ont déjà banni cette notion comme étant pseudo-scientifique. Et pour cause, l’adopter permettrait des dérives aussi nombreuses que variées. Il serait facile pour un ancien membre d’une congrégation chrétienne, par exemple, après qu’il se soit fâché avec sa congrégation, de déposer une plainte arguant que les pratiques de sa congrégation, comme la prière quotidienne, collective ou non, ou d’autres pratiques spirituelles comme des méditations dirigées, ont eu pour effet une altération de son jugement, et que cette altération a donné lieu à une aggravation de sa santé mentale. Le juge sera alors dans l’incapacité d’apprécier ces affirmations parfaitement subjectives, et devra se reposer sur l’avis d’un expert-psychiatre, lui-même devant se prononcer sur une notion dépourvue de base scientifique. Il s’agit là d’une psychiatrisation et d’une criminalisation de la croyance, et un grave danger pour les libertés fondamentales.

L’Italie fasciste avait une loi fondée sur un concept similaire, le « plagio », qui était défini comme suit : « Quiconque soumet une personne à son propre pouvoir, afin de la réduire à un état de sujétion, est puni d'une peine d'emprisonnement de cinq à quinze ans ». Il n’y a quasiment aucune différence entre le « plagio » et l’article 1 du projet de loi « sur les dérives sectaires ». Ce délit de « plagio » a été utilisé d’abord pour poursuivre les homosexuels, et les accuser de « laver le cerveau » des gens pour en faire des homosexuels à leur tour. Puis, après que la loi fut utilisée pour poursuivre un prêtre catholique accusé d'avoir séparé ses jeunes disciples et leurs familles, en les persuadant de travailler comme missionnaires à plein temps ou comme volontaires pour des activités caritatives en Italie et à l'étranger, la Cour Constitutionnelle italienne, dans un jugement du 8 juin 1981, a purement et simplement abrogé l’article du « plagio ». La Cour a estimé que les opinions de la science psychiatrique étaient si diverses qu’elles empêchaient toute décision fiable de la part d’un juge. Le danger qui en résultait était qu'un tel état d'ambiguïté pouvait conduire à des décisions basées sur le degré de popularité ou d'acceptation des idées inculquées par le prétendu « plagio ». D’après la Cour, la littérature sur le sujet, qu'elle provienne « de la psychiatrie, de la psychologie ou de la psychanalyse », ne permet pas de faire la différence entre une influence ou une sujétion qui serait résistible et une autre qui ne le serait pas.

Selon la Cour constitutionnelle italienne « si l'on voulait appliquer le crime de Plagio, même une relation normale - qu'elle soit fondée sur l'amour, la croyance religieuse, l'appartenance à un mouvement idéologique ou sur d'autres motifs - soutenue par l'obéissance "aveugle et totale" d'un sujet à un autre sujet et considérée comme socialement déviante, pourrait être poursuivie en tant que crime de plagio. » La Cour a fait remarquer que « L'obéissance aveugle et totale », était demandée dans plusieurs organisations militaires, religieuses et politiques, et persuader les gens de la pratiquer n'est pas un délit.

Le délit de « sujétion psychologique » que le projet de loi sur les dérives sectaires entend instaurer est l’exacte réplique du crime de plagio. Il est contraire à la Convention Européenne des Droits de l’Homme et s’il était adopté, il représenterait un recul considérable pour la France.

Rien ni dans l’exposé des motifs ni dans l’étude d’impact de la loi ne permet de justifier de la nécessité de créer de nouveaux délits pour réprimer des comportements qui sont déjà couverts par la loi pénale existante. Par contre, créer un délit arbitraire, fondé sur une notion pseudo-scientifique qui échappe à la faculté normale d’appréciation du juge, et qui permettra de criminaliser des comportements qui bien que socialement contestés, n’en restent pas moins du domaine de la liberté de croyance, est un risque bien plus grand que celui qui consiste à ne pas légiférer sur un problème mal identifié.

Le reste de la loi est malheureusement du même acabit. Permettre à des associations « de lutte contre les sectes », qui le plus souvent combattent idéologiquement des mouvements spirituels et religieux qu’elles n’apprécient pas, de se porter partie civile même quand elles n’ont pas souffert de dommages personnels (article 3), représente un risque considérable pour l’équité du procès pénal.

L’article 4, retiré par le Sénat, a été correctement critiqué par le Conseil d’État dans son avis du 9 novembre et il ne faudrait pas chercher à le réintroduire.

Enfin, permettre à un organisme gouvernemental comme la Miviludes, qui régulièrement stigmatise des mouvements spirituels et religieux minoritaires, de participer aux débats d’un procès pénal impliquant ces mêmes mouvements, est aussi une atteinte sévère au droit à un procès équitable tel que défini par l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Telle est l’opinion que notre fondation souhaitait partager avec vous, en espérant qu’ils trouveront écho dans vos travaux ultérieurs sur le projet de loi. Je me tiens à votre disposition pour développer plus avant, si nécessaire, les arguments que j’ai avancés ici.

Je vous prie d’agréer, Madame la député, Monsieur le député, l’expression de mes sentiments les meilleurs.